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26.06.2024« La Tour Super-Crans : un objet architectural rare et exceptionnel ! »

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Historienne de l’architecture, spécialiste notamment du XXe siècle, Martine Jaquet a eu l’occasion de défendre l’originalité du célèbre bâtiment de 17 étages qui surplombe Crans-Montana, dans une étude pour le compte de Patrimoine Suisse. Et de défendre son classement comme monument protégé.


Qu’a-t-elle de si particulier, la Tour Super-Crans ? Pourquoi étiez-vous favorable à son classement, alors que le Gouvernement valaisan ne l’était pas ? 

MARTINE JAQUET: D’abord son unicité! C’est un bâtiment unique, un objet visible de loin et depuis maints et maints endroits en Valais, de la plaine aux sommets. Ensuite, on découvre ses qualités en s’approchant : son socle en forme de champignon, sa forme en éventail. Il s’agit là d’une véritable performance architecturale à la montagne, et d’un chantier héroïque, de cet héroïsme qui a présidé à la construction des barrages dans ce canton. Quand on l’observe finement, qu’on identifie les caractéristiques du projet, on peut parler d’un chef-d’œuvre de l’architecture valaisanne. 

Concrètement, qu’est-ce qui vous a surprise quand vous êtes entrée dans l’intimité de ces 17 étages qui culminent à 60 mètres ? 

L’architecte Jean-Marie Ellenberger était surtout spécialiste de l’art sacré (église Sainte-Croix à Sierre, église de Chermignon, église de Verbier, et d’autres encore), mais là, il a réussi un bâtiment encore plus épuré, où toutes les larges fenêtres de la façade Sud donnent sur un paysage d’exception. Il a également fait montre d’une approche novatrice dans l’attention portée à la nature à travers une gestion avisée des surfaces. Car le projet initial de l’architecte Bornet prévoyait une dizaine d’immeubles, et donc une atteinte importante à ce paysage. La solution Ellenberger sur ce promontoire où trônait jadis l’Hôtel Forest (détruit dans un incendie) a bel et bien permis de préserver l’environnement en aménageant uniquement la surface qui était déjà consacrée à l’exploitation hôtelière. 

Et si on entre dans le détail de ce qu’offre la Tour ? 

À l’intérieur, on a des logements imbriqués en duplex de part et d’autre, de même qu’au centre, ce qui s’exprime également en façade en les animant. Tous les logements sont traversants, sauf les chambres destinées au personnel, qui donnent au Nord. J’évoquerais le soin tout particulier accordé aux matériaux, notamment l’isolation phonique de grande qualité. Chaque logement bénéficie de larges baies vitrées et d’une loggia, comme une fenêtre privée sur le paysage. Je note encore pêle-mêle, une cheminée à feu ouvert dans tous les appartements, un parking, un restaurant et un bar privatifs, une piscine semi-olympique, des espaces professionnels, la présence de personnels de service. Ellenberger pose là toutes les questions modernes de l’immeuble résidentiel, comme Le Corbusier avait qui avait expérimenté son concept « d’immeuble-villas » avec La Clarté à Genève. 

Cette Tour a-t-elle des sœurs ou des cousines ? 

Nous avons Aminona, à côté, où le projet d’André Gaillard a vu la réalisation de trois tours alors qu’il existait des variantes à 12 ou à 18. Mais là, l’approche est différente : il s’agissait de créer une station entière à la montagne, et non juste un immeuble. Cela dit, la Tour de Super-Crans a une grande sœur en Allemagne et une petite sœur à Lucerne, toutes deux dues au talent de l’architecte, urbaniste et designer finlandais Alvar Aalto. 

Pour vous, il y a toujours débat sur la qualité de cet objet ? 

Le simple fait que le Conseil d’État valaisan se soit prononcé contre son classement, et donc sa préservation, prouve qu’il y a toujours débat. Cela n’enlève rien au fait que la Tour est un jalon important pour l’histoire touristique et architecturale du Valais. Elle est reconnue par les milieux de la construction et de l’architecture comme un objet exceptionnel, au sens propre de ce terme. Et puis, ce qui est un bon indicateur, elle suscite un vrai attachement de la part de tous ses résidents. J’ajoute que si on observe la qualité moyenne des immeubles dans les stations valaisannes et alpines, la Tour se distingue comme extrêmement intéressante. 

Vous pourriez y habiter ? 

Oui, assurément. Et pas seulement à cause de l’architecture. J’aime bien la topographie variée de Crans-Montana, la présence marquée des lacs, de la forêt, comme celle qu’on doit traverser pour atteindre la station. Je comprends qu’Ellenberger ait décidé d’installer son bureau sur le Haut-Plateau, qu’il avait découvert en raison d’un séjour en sanatorium. Il a conservé toute sa vie un pied à Genève et un pied en Valais. 

Un commentaire conclusif ? 

Je souligne l’excellent état de conservation de l’ensemble, des menuiseries des fenêtres encore d’origine, des aménagements intérieurs et du béton. C’est, en définitive, une mise en œuvre plutôt sculpturale de ce matériau, grâce à un enduit clair qui capte la lumière. 

Propos recueillis par Jean-François Fournier 

Cet article a été publié dans Vue d'Ensemble N. 14

« La Tour: un club, une communauté » 

Président du conseil d’administration de La Tour Super-Crans SA, François Besson y a passé une partie importante de sa vie. «Je l’ai vue s’élever peu à peu - c’était impressionnant - avant de finir par l’habiter. » Aujourd’hui, il ne regrette rien. Bien au contraire: «C’est un cadre exceptionnel avant que d’être une œuvre architecturale. La forêt est immédiatement là. L’hiver, on part skis aux pieds. On a la plus grande piscine de Crans-Montana, un sauna, deux courts de tennis, un minigolf, quatre hectares privatifs et une grande pelouse où l’on peut prendre le soleil l’été. » Et d’ajouter à ce tableau idyllique des services fort appréciés des résidents: «Nettoyage, blanchisserie, réception.» 

Mais il y a plus important encore: «Nous avons beaucoup d’espaces publics où l’on peut se rencontrer entre habitants des lieux. Un restaurant de 80 couverts qui sert aussi en plein air à la belle saison, deux bars dont un bar-restaurant au 17e étage avec la plus belle vue sur les Alpes, un grand hall d’accueil. Ou si vous préférez: comment vivre à l’hôtel sans vivre à l’hôtel! En fait, la Tour ressemble beaucoup à un club, je dirais même à une communauté. On se croise, on échange. Si ce mode de vie et cet art de vivre ne vous conviennent pas, vous serez malheureux ici!» 

JFF